Les Habits Neufs de l'Empereur
H.C. Andersen

Les Habits Neufs de l'Empereur

H.C. Andersen
4 min

Il y a de nombreuses années, il y avait un Empereur qui aimait tellement les nouveaux vêtements qu'il dépensait tout son argent en habits. Il ne se souciait guère de ses soldats ; il n'aimait ni aller au théâtre ni à la chasse, sauf pour les occasions que cela lui donnait d’exhiber ses nouveaux habits. Il avait un costume différent pour chaque heure de la journée ; et alors que pour tout autre roi ou empereur, on disait : « il est en conseil », on disait toujours de lui : « L’Empereur est dans sa garde-robe. »

Le temps passait joyeusement dans la grande ville qui était sa capitale ; des étrangers arrivaient chaque jour à la cour. Un jour, deux fripons, se faisant passer pour des tisserands, se présentèrent. Ils prétendaient savoir tisser des étoffes aux couleurs les plus belles et aux motifs les plus élaborés, dont les vêtements auraient la merveilleuse propriété de rester invisibles à quiconque était inapte à sa fonction ou d’une simplicité extraordinaire de caractère.

« Ces habits doivent être splendides ! » pensa l’Empereur. « Si j’avais un tel costume, je pourrais tout de suite découvrir quels hommes dans mon royaume sont inaptes à leur fonction, et aussi distinguer les sages des sots ! Il faut que cette étoffe soit tissée pour moi immédiatement. » Et il fit donner de grosses sommes d’argent aux deux tisserands pour qu’ils commencent leur travail sur-le-champ.

Les deux faux tisserands installèrent donc deux métiers à tisser et firent semblant de travailler très activement, alors qu’en réalité ils ne faisaient rien du tout. Ils demandèrent la soie la plus fine et le fil d’or le plus pur ; mirent les deux dans leurs propres sacs ; puis continuèrent leur faux travail sur les métiers vides jusqu’à tard dans la nuit.

« J’aimerais savoir comment les tisserands avancent avec mon tissu, » se dit l’Empereur après quelque temps ; cependant, il était un peu embarrassé, se rappelant qu’un simple d’esprit, ou quelqu’un d’inapte à sa fonction, ne pourrait pas voir l’étoffe. Bien sûr, il pensait n’avoir rien à craindre pour sa propre personne ; mais il préférait tout de même envoyer quelqu’un d’autre pour lui rapporter des nouvelles des tisserands et de leur travail, avant de s’en mêler lui-même. Toute la ville avait entendu parler de la merveilleuse propriété que devait posséder l’étoffe ; et tous étaient impatients de savoir à quel point leurs voisins étaient sages ou ignorants.

« J’enverrai mon fidèle vieux ministre chez les tisserands, » dit enfin l’Empereur après réflexion, « il sera le mieux à même de voir à quoi ressemble l’étoffe ; car c’est un homme de bon sens, et nul n’est plus apte à sa fonction que lui. »

Le fidèle vieux ministre entra donc dans la salle où les fripons travaillaient de toutes leurs forces sur leurs métiers vides. « Que signifie cela ? » pensa le vieil homme, ouvrant grand les yeux. « Je ne vois pas le moindre fil sur les métiers. » Cependant, il ne dit rien à voix haute.

Les imposteurs le prièrent très poliment de s’approcher de leurs métiers ; puis lui demandèrent si le motif lui plaisait, et si les couleurs n’étaient pas très belles ; tout en montrant les cadres vides. Le pauvre vieux ministre regarda et regarda, il ne put rien découvrir sur les métiers, pour une bonne raison : il n’y avait rien. « Quoi ! » pensa-t-il encore. « Est-il possible que je sois un simple d’esprit ? Je ne l’ai jamais pensé de moi-même ; et personne ne doit le savoir maintenant si c’est le cas. Se pourrait-il que je sois inapte à ma fonction ? Non, il ne faut pas dire cela non plus. Je n’avouerai jamais que je n’ai pas pu voir l’étoffe. »

« Eh bien, Monsieur le Ministre ! » dit l’un des fripons, feignant toujours de travailler. « Vous ne dites pas si l’étoffe vous plaît. »

« Oh, elle est excellente ! » répondit le vieux ministre, regardant le métier à tisser à travers ses lunettes. « Ce motif, et les couleurs, oui, je dirai à l’Empereur sans tarder combien je les trouve beaux. »

« Nous vous en serons très reconnaissants, » dirent les imposteurs, puis ils nommèrent les différentes couleurs et décrivirent le motif de la prétendue étoffe. Le vieux ministre écouta attentivement leurs paroles, afin de pouvoir les répéter à l’Empereur ; puis les fripons demandèrent plus de soie et d’or, disant que c’était nécessaire pour terminer ce qu’ils avaient commencé. Cependant, ils mirent tout ce qu’on leur donnait dans leurs sacs ; et continuèrent à travailler avec autant d’ardeur apparente qu’auparavant sur leurs métiers vides.

L’Empereur envoya alors un autre officier de sa cour pour voir comment les hommes avançaient, et pour savoir si l’étoffe serait bientôt prête. Ce fut exactement la même chose pour ce gentilhomme que pour le ministre ; il examina les métiers sous tous les angles, mais ne vit rien d’autre que les cadres vides.

« L’étoffe ne vous paraît-elle pas aussi belle qu’à Monsieur le Ministre ? » demandèrent les imposteurs au second ambassadeur de l’Empereur ; tout en faisant les mêmes gestes qu’auparavant, et en parlant du motif et des couleurs qui n’étaient pas là.

« Je ne suis certainement pas stupide ! » pensa le messager. « Il faut donc que je ne sois pas apte à ma bonne, profitable fonction ! C’est très étrange ; cependant, personne n’en saura rien. » Et il loua donc l’étoffe qu’il ne pouvait pas voir, et déclara qu’il était ravi à la fois des couleurs et des motifs. « En vérité, Votre Majesté Impériale, » dit-il à son souverain à son retour, « le tissu que les tisserands préparent est extraordinairement magnifique. »

Toute la ville parlait du splendide tissu que l’Empereur avait commandé à ses frais.

Et maintenant l’Empereur lui-même voulut voir la précieuse étoffe, alors qu’elle était encore sur le métier. Accompagné d’un certain nombre d’officiers de la cour, parmi lesquels se trouvaient les deux honnêtes hommes qui avaient déjà admiré l’étoffe, il se rendit chez les rusés imposteurs, qui, dès qu’ils apprirent l’approche de l’Empereur, se mirent à travailler plus assidûment que jamais ; bien qu’ils ne passassent toujours pas un seul fil dans les métiers.

La fin

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