Le Rossignol
H.C. Andersen

Le Rossignol

H.C. Andersen
10 min

En Chine, comme vous le savez, l’Empereur est chinois, et tout son entourage l’est aussi. Cela remonte à bien des années, mais c’est justement pour cela qu’il vaut la peine d’écouter cette histoire, avant qu’elle ne soit oubliée. Le palais de l’Empereur était le plus splendide du monde, entièrement fait de fine porcelaine, très coûteuse, mais si fragile qu’il fallait y prendre grand soin. Dans le jardin poussaient des fleurs extraordinaires, et aux plus magnifiques étaient attachées de petites clochettes d’argent, pour que nul ne puisse passer sans les remarquer. Oui, tout était pensé dans le jardin impérial, qui s’étendait si loin que le jardinier lui-même n’en connaissait pas la fin. Si l’on marchait assez, on arrivait à une belle forêt, avec de grands arbres et de profonds lacs. La forêt descendait jusqu’à la mer, bleue et profonde. De grands navires pouvaient naviguer sous les branches, et dans ces branches vivait un rossignol, qui chantait si divinement que même le pauvre pêcheur, pourtant bien occupé, s’arrêtait pour l’écouter lorsqu’il tirait ses filets la nuit. « Seigneur, que c’est beau ! » disait-il ; puis il retournait à ses affaires, oubliant l’oiseau. Mais la nuit suivante, en entendant à nouveau le rossignol, il répétait : « Seigneur, que c’est beau ! »

Des voyageurs du monde entier venaient à la ville de l’Empereur, émerveillés par le palais et le jardin ; mais lorsqu’ils entendaient le rossignol, tous disaient : « C’est tout de même la plus belle chose. » Ils en parlaient en rentrant chez eux, et des gens savants écrivaient des livres sur la ville, le palais et le jardin, sans oublier le rossignol, qu’ils plaçaient au-dessus de tout. Les poètes composaient de beaux vers sur le rossignol de la forêt, près du lac profond.

Les livres circulèrent dans le monde entier, et certains arrivèrent jusqu’à l’Empereur. Assis sur son trône d’or, il lisait et hochait la tête, ravi de la description de la ville, du palais et du jardin. « Pourtant, le rossignol est la plus belle chose de toutes », y était-il écrit.

« Qu’est-ce que cela ? » dit l’Empereur. « Le rossignol ? Je n’en ai jamais entendu parler ! Y a-t-il un tel oiseau dans mon empire, et même dans mon jardin ? Je n’en ai jamais rien su ! Voilà ce qu’on gagne à lire. »

Il fit venir son maréchal, si haut placé que, lorsqu’un inférieur lui adressait la parole, il ne répondait que « P », ce qui ne veut rien dire. « Il paraît qu’il existe ici un oiseau remarquable, appelé rossignol, dit l’Empereur. On dit que c’est la plus belle chose de mon vaste royaume ! Pourquoi ne m’en a-t-on jamais parlé ? »

« Je n’en ai jamais entendu parler, » répondit le maréchal ; « il n’a jamais été présenté à la cour. »

« Je veux qu’il vienne ce soir chanter devant moi, » dit l’Empereur. « Le monde entier sait ce que je possède, et moi, je l’ignore ! »

« Je n’en ai jamais entendu parler, » répéta le maréchal ; « je dois le chercher, je dois le trouver. »

Mais où le trouver ? Le maréchal courut partout, mais personne n’avait entendu parler du rossignol. Il revint dire à l’Empereur que ce devait être une invention des auteurs. « Votre Majesté ne peut imaginer ce que les gens écrivent ; toutes sortes d’inventions, et ce qu’on appelle la magie noire. »

« Mais le livre où j’ai lu cela, » dit l’Empereur, « m’a été envoyé par l’Empereur du Japon, ce ne peut donc être un mensonge. Je veux entendre le rossignol ! Il aura ma faveur suprême, et s’il ne vient pas, toute la cour aura le ventre piétiné après le dîner ! »

« Tsing-pe ! » dit le maréchal, et il courut à nouveau partout ; la moitié de la cour courut avec lui, car personne ne voulait se faire piétiner le ventre. On chercha ce rossignol fameux, connu du monde entier, mais inconnu à la cour.

Enfin, ils trouvèrent une petite fille de cuisine. « Le rossignol ? Je le connais bien ! Il chante merveilleusement. Chaque soir, j’ai la permission d’apporter des restes à ma pauvre mère malade, qui habite près du rivage. Quand je reviens, fatiguée, je m’arrête dans le bois et j’écoute le rossignol. Il me fait pleurer, c’est comme si ma mère m’embrassait. »

« Petite fille de cuisine, » dit le maréchal, « je te promets une place à vie et le droit de voir l’Empereur dîner, si tu nous conduis au rossignol, car il est invité ce soir. » Ils partirent donc tous ensemble vers le bois où chantait le rossignol. La moitié de la cour était là. En chemin, une vache meugla.

« Oh ! » dirent les pages, « nous l’entendons, quelle puissance pour un si petit animal ! Je suis sûr de l’avoir déjà entendu. »

« Non, c’est la vache, » dit la petite fille, « nous sommes encore loin. »

Puis les grenouilles coassèrent dans l’étang.

« Merveilleux, » dit le maître du palais. « Je l’entends, cela ressemble à de petites cloches d’église. »

« Non, ce sont les grenouilles, » dit la petite fille, « mais nous y sommes presque. »

Alors le rossignol se mit à chanter.

« C’est lui, » dit la petite, « écoutez ! Le voilà ! » Et elle montra un petit oiseau gris dans les branches. « Est-ce possible ? » dit le maréchal. « Je n’aurais jamais cru qu’il ressemblait à cela ! Comme il est terne ! Il a dû perdre ses couleurs en voyant tant de gens importants. »

« Petit rossignol, » appela la petite fille, « notre gracieux Empereur veut t’entendre chanter. »

« Avec grand plaisir, » répondit le rossignol, et il chanta, pour le plus grand bonheur de tous.

« Cela ressemble à des cloches de verre, » dit le maréchal, « regardez sa gorge, comme elle bouge ! C’est curieux que nous ne l’ayons jamais entendu ! Il aura un grand succès à la cour. »

« Dois-je chanter encore pour l’Empereur ? » demanda le rossignol, croyant que l’Empereur était là.

« Mon excellent petit rossignol, » dit le maréchal, « j’ai l’honneur de t’inviter à une fête ce soir, où tu enchanteras Sa Majesté de ton chant. »

« Je chante mieux dans la forêt, » répondit le rossignol. Mais il accepta volontiers en apprenant que l’Empereur le désirait.

Au palais, tout fut préparé. Les murs et les sols de porcelaine brillaient sous des milliers de lampes d’or. Les plus belles fleurs, qui pouvaient vraiment tinter, étaient disposées aux fenêtres. Il y avait tant de va-et-vient que toutes les clochettes tintaient à l’unisson.

Au centre de la grande salle, on installa un perchoir d’or pour le rossignol. Toute la cour était là, et la petite fille, devenue cuisinière officielle, avait la permission de rester derrière la porte. Tous étaient en grand apparat, et tous regardaient le petit oiseau gris. L’Empereur lui fit signe.

Le rossignol chanta si bien que des larmes vinrent aux yeux de l’Empereur ; elles coulèrent sur ses joues, et l’oiseau chanta encore plus merveilleusement, touchant le cœur de l’Empereur, qui fut ravi et voulut offrir son soulier d’or au rossignol. Mais celui-ci répondit qu’il était déjà récompensé.

« J’ai vu des larmes dans les yeux de l’Empereur ; c’est pour moi le plus grand des trésors. Les larmes d’un Empereur ont un pouvoir merveilleux. Dieu sait que je suis bien payé. » Et il chanta encore de sa voix divine.

« Quelle coquetterie exquise ! » dirent les dames, qui mirent de l’eau dans leur bouche pour gargouiller en parlant, croyant ainsi imiter le rossignol. Les valets et les servantes firent aussi savoir qu’ils étaient satisfaits, ce qui n’est pas peu dire. Bref, le rossignol eut un immense succès.

Il devait désormais rester à la cour, dans sa cage, avec la permission de sortir deux fois par jour et une fois la nuit. Douze serviteurs tenaient chacun un fil de soie attaché à sa patte. Ces promenades n’avaient rien d’agréable. Toute la ville parlait de l’oiseau, et quand deux personnes se rencontraient, l’une disait « ross », l’autre « ignol », puis elles soupiraient, se comprenant ainsi. Plus de onze enfants de bouchers furent nommés Rossignol, mais aucun n’avait la moindre note de musique en lui.

Un jour, un grand colis arriva pour l’Empereur, portant l’inscription « Rossignol ».

« Voilà un autre livre sur notre célèbre oiseau, » dit l’Empereur ; mais ce n’était pas un livre, c’était une petite machine dans une boîte : un rossignol mécanique, couvert de diamants, rubis et saphirs. Dès qu’on le remontait, il chantait l’un des airs du vrai rossignol, sa queue bougeait et brillait d’or et d’argent. Autour de son cou, un ruban portait l’inscription : « Le rossignol de l’Empereur du Japon n’est rien à côté de celui de l’Empereur de Chine. »

« C’est charmant ! » dirent tous. L’homme qui avait apporté l’oiseau mécanique reçut le titre de Grand Apporteur Impérial de Rossignols.

On voulut les faire chanter ensemble, mais cela n’alla pas : le vrai rossignol chantait à sa façon, l’autre enchaînait des valses.

« Ce n’est pas sa faute, » dit le chef d’orchestre, « il tient parfaitement la mesure, il est de mon école. » L’oiseau mécanique dut donc chanter seul. Il eut autant de succès que le vrai, et il était bien plus beau à regarder, brillant comme un bijou.

Trente-trois fois il chanta le même air sans se lasser. On aurait voulu l’entendre encore, mais l’Empereur voulut que le vrai rossignol chante un peu… mais où était-il ? Personne n’avait remarqué qu’il s’était envolé par la fenêtre, retournant à la forêt.

« Que signifie cela ? » dit l’Empereur. Tous blâmèrent le rossignol, le traitant d’ingrat. « Nous avons tout de même le meilleur oiseau, » dirent-ils, et l’oiseau mécanique dut chanter encore. C’était la trente-quatrième fois qu’ils entendaient le même air, mais ils ne le connaissaient pas encore bien, car il était difficile, et le chef d’orchestre loua l’oiseau, affirmant qu’il était supérieur au vrai, non seulement par son plumage et ses diamants, mais aussi intérieurement.

« Avec le vrai rossignol, on ne sait jamais ce qui va venir, mais avec l’oiseau mécanique, tout est prévu. On peut l’ouvrir, montrer le mécanisme, comment les valses s’enchaînent. »

« C’est exactement ce que je pense, » dirent tous, et le chef d’orchestre obtint la permission de présenter l’oiseau au peuple le dimanche suivant. Tous l’entendirent, ravis comme s’ils étaient ivres de thé, et chacun disait « oh » en levant le doigt, puis hochait la tête. Mais le pauvre pêcheur, qui avait entendu le vrai rossignol, disait : « C’est joli, mais il manque quelque chose, je ne sais quoi ! »

Le vrai rossignol fut banni du royaume. L’oiseau mécanique eut sa place sur un coussin de soie près du lit de l’Empereur, entouré de cadeaux, or et bijoux, et reçut le titre de Grand Chanteur Impérial, numéro un du côté gauche, car c’est là que bat le cœur, même chez un Empereur. Le chef d’orchestre écrivit vingt-cinq volumes sur l’oiseau mécanique, des ouvrages très savants, pleins de mots difficiles, que tous prétendirent avoir lus et compris, de peur d’être pris pour des sots et d’avoir le ventre piétiné.

Ainsi passa une année entière. L’Empereur, la cour et tous les Chinois connaissaient par cœur chaque note de l’oiseau mécanique, et l’aimaient d’autant plus. Les enfants chantaient « Zizizi ! kluk, kluk, kluk ! » et l’Empereur aussi. C’était exquis.

Mais un soir, alors que l’oiseau chantait et que l’Empereur l’écoutait au lit, un « crac » se fit entendre. Tout le mécanisme s’emballa, la musique s’arrêta. L’Empereur sauta du lit, fit venir le médecin, mais cela ne servit à rien. On appela l’horloger, qui, après bien des efforts, remit l’oiseau en état, mais il déclara qu’il fallait l’utiliser avec parcimonie, car il était usé et impossible à réparer parfaitement. Ce fut un grand malheur ! On ne le laissa chanter qu’une fois par an, et encore, c’était risqué. Le chef d’orchestre fit un discours plein de mots compliqués, affirmant que l’oiseau était aussi bon qu’avant, et tout le monde le crut.

Cinq ans passèrent, et un grand malheur frappa le pays : l’Empereur tomba malade, et l’on disait qu’il ne guérirait pas. Un nouvel Empereur était déjà choisi, et le peuple demandait des nouvelles.

« P, » disait le maréchal, en secouant la tête.

L’Empereur gisait, froid et pâle, dans son grand lit, sous les lourds rideaux de velours et les pompons d’or. Une fenêtre était ouverte, la lune brillait sur l’Empereur et l’oiseau mécanique.

Le pauvre Empereur peinait à respirer ; il lui semblait qu’on lui pesait sur la poitrine. Il ouvrit les yeux et vit que c’était la Mort, assise sur sa poitrine, portant sa couronne d’or, tenant d’une main l’épée d’or, de l’autre sa bannière. Dans les plis des rideaux, des visages étranges apparaissaient, certains effrayants, d’autres bienveillants : c’étaient ses bonnes et mauvaises actions.

« Te souviens-tu de cela ? » murmuraient-elles. « Et de ceci ? » Elles lui rappelaient tant de choses que la sueur perlait sur son front. « Je n’ai jamais su cela, » disait l’Empereur. « De la musique ! Le grand tambour de Chine ! » cria-t-il, « pour ne pas entendre tout cela. »

La Mort hochait la tête à tout ce qui se disait.

« De la musique ! » supplia l’Empereur. « Petit oiseau d’or, chante ! Je t’ai donné de l’or, des trésors, mon soulier d’or ! Chante ! »

Mais l’oiseau resta muet : personne pour le remonter, il ne chantait plus. La Mort fixait l’Empereur de ses grands yeux vides, et tout était silencieux, terriblement silencieux.

À cet instant, près de la fenêtre, retentit le plus beau des chants. C’était le vrai rossignol, venu chanter l’espoir et le réconfort à son Empereur. À mesure qu’il chantait, les formes devenaient floues, le sang circulait plus vite dans le corps faible de l’Empereur, et la Mort elle-même écoutait : « Continue, petit rossignol ! Continue. »

« Oui, si tu me donnes l’épée d’or, la bannière, la couronne. » Et la Mort céda chaque trésor pour un chant, et le rossignol chanta le cimetière paisible, les roses blanches, le sureau odorant, l’herbe mouillée de larmes. Alors la Mort, prise de nostalgie, s’envola par la fenêtre comme une brume blanche.

« Merci, merci, » dit l’Empereur, « petit oiseau céleste, je te reconnais. Je t’ai chassé, et pourtant tu as chassé la Mort de mon lit. Comment te remercier ? »

« Tu m’as déjà remercié, » répondit le rossignol. « J’ai vu des larmes dans tes yeux la première fois que j’ai chanté, et je ne l’oublierai jamais. Ce sont les vrais trésors du chanteur. Mais dors, guéris. Je chanterai pour toi. »

Et il chanta, et l’Empereur s’endormit d’un sommeil doux et réparateur.

Le soleil brillait à la fenêtre quand il se réveilla, guéri. Aucun serviteur n’était revenu, croyant l’Empereur mort, mais le rossignol chantait encore.

« Tu dois toujours rester avec moi, » dit l’Empereur. « Tu ne chanteras que quand tu voudras, et quant à l’oiseau mécanique, je le briserai en mille morceaux. »

« Ne fais pas cela, » répondit le rossignol, « il a fait ce qu’il a pu, garde-le. Je ne peux vivre au palais, mais laisse-moi venir quand je veux. Je viendrai le soir chanter à ta fenêtre, pour te rendre heureux et pensif. Je chanterai le bonheur, la souffrance, le bien et le mal qui t’entourent et te sont cachés. Le petit oiseau vole loin, vers le pêcheur, vers les pauvres, vers tous ceux qui sont loin de toi et de ta cour. J’aime ton cœur plus que ta couronne, même si la couronne a un parfum sacré. Je viendrai, je chanterai, mais promets-moi une chose. »

« Tout ce que tu veux, » dit l’Empereur, debout dans ses habits impériaux, l’épée d’or contre le cœur.

« Promets-moi de ne dire à personne que tu as un petit oiseau qui te raconte tout. Ce sera mieux ainsi. » Et le rossignol s’envola.

Les serviteurs entrèrent pour voir leur Empereur mort, et… eh bien, il leur dit : « Bonjour. »

La fin

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