Il était une fois un pêcheur qui vivait avec sa femme dans une masure près de la mer. Le pêcheur passait ses journées à pêcher ; un jour, alors qu’il était assis sur le rivage, regardant les vagues étincelantes et surveillant sa ligne, son bouchon fut soudain entraîné au fond de l’eau : il remonta une grosse prise. Mais le poisson lui dit : « Je t’en prie, laisse-moi vivre ! Je ne suis pas un vrai poisson ; je suis un prince ensorcelé : remets-moi à l’eau et laisse-moi partir ! » « Oh ! » répondit l’homme, « pas besoin d’en faire tout un plat ; je ne veux rien avoir à faire avec un poisson qui parle : file, va-t’en ! » Il le remit à l’eau, et le poisson disparut aussitôt au fond, laissant une traînée de sang sur la vague.
Le pêcheur rentra chez lui et raconta à sa femme comment il avait attrapé un grand poisson, qui lui avait dit être un prince ensorcelé, et comment, l’ayant entendu parler, il l’avait relâché. « Tu ne lui as rien demandé ? » dit la femme, « nous vivons misérablement ici, dans cette masure sale ; retourne voir le poisson et demande-lui une jolie petite maison. »
Le pêcheur n’aimait guère cette idée, mais il alla au bord de la mer ; l’eau était alors jaune et verte. Il se tint au bord et dit :
Ô homme de la mer !
Écoute-moi !
Ma femme Isabelle
Veut faire sa volonté,
Et m’envoie te demander une faveur !
Le poisson arriva et demanda : « Eh bien, que veut-elle ? » « Ah ! » répondit le pêcheur, « ma femme dit que j’aurais dû te demander quelque chose avant de te relâcher ; elle ne veut plus vivre dans la masure et souhaite une jolie petite maison. » « Rentre chez toi, » dit le poisson, « elle est déjà dans la maison ! » L’homme rentra et vit sa femme devant une maisonnette coquette. « Entre, entre ! » dit-elle, « n’est-ce pas mieux que notre vieille masure ? » Il y avait un salon, une chambre, une cuisine, un jardin derrière, plein de fleurs et de fruits, et une cour avec des canards et des poules. « Ah ! » dit le pêcheur, « comme nous serons heureux ici ! » « Essayons, » répondit sa femme.
Tout alla bien pendant une semaine ou deux, puis Dame Isabelle dit : « Mari, cette maison est trop petite, la cour et le jardin aussi ; je veux un grand château de pierre : va demander au poisson. » « Femme, » répondit le pêcheur, « je n’aime pas y retourner, il sera peut-être fâché ; nous devrions nous contenter de cette jolie maison. » « N’importe ! » dit la femme, « il le fera volontiers, j’en suis sûre ; vas-y ! »
Le pêcheur partit, le cœur lourd ; la mer était bleue et sombre, bien que calme. Il s’approcha des vagues et dit :
Ô homme de la mer !
Écoute-moi !
Ma femme Isabelle
Veut faire sa volonté,
Et m’envoie te demander une faveur !
« Que veut-elle maintenant ? » demanda le poisson. « Ah ! » répondit l’homme tristement, « ma femme veut vivre dans un château de pierre. » « Rentre chez toi, » dit le poisson, « elle t’attend déjà devant le château. » Le pêcheur rentra et trouva sa femme devant un grand château. « Regarde, » dit-elle, « n’est-ce pas magnifique ? » Ils entrèrent, trouvèrent de nombreux serviteurs, des pièces richement meublées, un parc plein d’animaux, des écuries et des bergeries. « Maintenant, nous vivrons heureux ici pour toujours, » dit le pêcheur. « Peut-être, » répondit sa femme, « mais dormons là-dessus avant de décider. »
Le lendemain, Dame Isabelle réveilla son mari : « Lève-toi, nous devons être roi de tout le pays. » « Femme, pourquoi vouloir être roi ? Je ne veux pas être roi. » « Alors moi, je le serai. Va demander au poisson ! » Le pêcheur partit, la mer était grise et agitée, et il dit :
Ô homme de la mer !
Écoute-moi !
Ma femme Isabelle
Veut faire sa volonté,
Et m’envoie te demander une faveur !
« Que veut-elle maintenant ? » demanda le poisson. « Hélas, ma femme veut être roi. » « Rentre chez toi, elle est déjà roi. »
Le pêcheur rentra, vit des soldats, des trompettes, sa femme sur un trône d’or, couronnée, entourée de demoiselles. « Es-tu roi ? » « Oui, » répondit-elle. « Ah, femme, quel bonheur d’être roi ! » « Je commence à m’en lasser, je veux être empereur. » « Hélas, femme, pourquoi ? » « Va voir le poisson, je veux être empereur ! »
Le pêcheur y fut contraint ; la mer était noire et boueuse, un vent violent soufflait. Il dit :
Ô homme de la mer !
Écoute-moi !
Ma femme Isabelle
Veut faire sa volonté,
Et m’envoie te demander une faveur !
« Que veut-elle maintenant ? » « Elle veut être empereur. » « Rentre chez toi, elle l’est déjà. »
Il rentra, vit sa femme sur un trône d’or massif, une immense couronne sur la tête, entourée de gardes et de nobles. « Es-tu empereur ? » « Oui. » « Quel bonheur ! » « Je veux être pape maintenant. » « Femme, il n’y a qu’un pape ! » « Je le serai aujourd’hui. Va voir le poisson ! »
Le pêcheur partit ; la mer était déchaînée, les navires en péril, le ciel menaçant. Il dit :
Ô homme de la mer !
Écoute-moi !
Ma femme Isabelle
Veut faire sa volonté,
Et m’envoie te demander une faveur !
« Que veut-elle maintenant ? » « Elle veut être pape. » « Rentre chez toi, elle l’est déjà. »
Il rentra, vit sa femme sur un trône immense, trois couronnes sur la tête, entourée de toute la pompe de l’Église. « Es-tu pape ? » « Oui. » « C’est grandiose, mais tu ne peux rien être de plus. » « Je vais y réfléchir. »
La nuit, elle ne dormit pas, songeant à ce qu’elle pourrait devenir. Au matin, voyant le soleil se lever, elle s’écria : « Je veux être maîtresse du soleil et de la lune ! » Le pêcheur, terrifié, obéit. Une tempête éclata, la mer devint noire, les éclairs zébrèrent le ciel. Il cria :
Ô homme de la mer !
Écoute-moi !
Ma femme Isabelle
Veut faire sa volonté,
Et m’envoie te demander une faveur !
« Que veut-elle maintenant ? » « Être maîtresse du soleil et de la lune. » « Rentre dans ta masure. »
Et ils y vivent encore aujourd’hui.
La fin
